La nouvelle a fait le tour du monde: le nouveau gouvernement italien a vu la création d’un «ministère de la Natalité». Techniquement, un ministère existant, celui de la Parité et de la Famille, est devenu le «ministère de la Famille, de la Natalité et de la Parité» — mais la nouvelle demeure: la natalité devient officiellement l’affaire du ministère.
Il ne semble pas y avoir d’autres ministères ou secrétariats d’État explicitement consacrés à la natalité ailleurs dans le monde: pourtant, le sujet est brûlant presque partout, surtout dans les pays industrialisés, car nous assistons depuis des années à un déclin démographique vertigineux. Les responsables politiques se rendent compte tardivement qu’il s'agit d’un problème, notamment en ce qui concerne les comptes publics, car si les personnes en âge de prendre leur retraite sont plus nombreuses que celles en âge de travailler, l’équilibre entre les recettes et les dépenses est inévitablement rompu.
Le nouveau gouvernement italien, dirigé pour la première fois par une personnalité d’extrême droite, Giorgia Meloni, a choisi de s’emparer du sujet — commençant par le nom d’un ministère. Sans aller jusque-là, les partis conservateurs de tous les pays sont depuis longtemps attentifs à la question de la natalité, tirant la sonnette d’alarme et proposant des solutions.
Le problème, c’est que les solutions conservatrices pour lutter contre la baisse de la natalité sont presque toujours liées à une vision archaïque du rôle des femmes, dans laquelle la maternité est considérée comme «naturelle», tout comme les rôles des deux sexes dans la famille sont naturels; et même s’il est aujourd'hui généralement admis que les femmes peuvent être sur le marché du travail, on estime encore que le travail le plus important est celui de mère, tandis que les autres engagements et priorités doivent céder le pas aux obligations de la famille.
En outre, le taux de natalité est très souvent perçu comme un match entre eux et nous, avec l’idée que les immigrés envahissent les pays occidentaux, «contaminent» les sociétés d’arrivée et les «colonisent» avec leurs enfants. Par conséquent, avoir plus d’enfants devient aussi un geste patriotique, pour contrer la menace démographique liée à l’augmentation de la population immigrée.
Le leitmotiv du «caractère sacré de la vie» et de la «famille naturelle» comme élément fondamental de la société, ainsi que la condamnation morale envers les personnes qui choisissent de ne pas avoir d’enfants — ou de rester célibataires — et des familles homosexuelles font le reste.
Ce n'est pas un hasard si, en France, Marine Le Pen, la dirigeante d’extrême droite qui a atteint le deuxième tour lors de la dernière élection présidentielle, avance dans le programme de son parti, le Rassemblement national, plusieurs propositions pour soutenir la natalité, en distinguant toujours les enfants de Français des enfants d’immigrés. Le natalisme, doctrine politique prônant et encourageant l’augmentation de la natalité, est en fait un projet ethnico-nationaliste typique des partis d’extrême droite.
S’il est vrai que les gouvernants ont le droit de mener les politiques qu’ils jugent appropriées, s’ils ont le nombre de parlementaires nécessaires pour les faire passer, il y a deux limites à ne jamais franchir lorsqu’on élabore des politiques de natalité, quelle que soit leur couleur.
La première consiste à confondre le soutien à la natalité avec la négation de la liberté en matière de choix reproductifs personnels. C’est ce qui se passe quand l’éducation sexuelle, les informations sur le planning familial et l’accès à la contraception sont restreints. Toutes ces politiques ont récemment été menées aux États-Unis, en particulier par l’ancien président républicain Donald Trump qui, pendant son mandat, a réduit de façon drastique les financements aux programmes de prévention de la grossesse chez les adolescentes dans les écoles et surtout ceux de Planned Parenthood, une grande association à but non lucratif qui travaille avec des professionnels de santé, des éducateurs et des militants du planning familial depuis plus d’un siècle.
Une autre façon de nier la liberté de choix consiste à rendre l’accès à l'avortement difficile ou impossible, au point de le rejeter dans l’illégalité. Là encore, il convient de citer l’exemple de Trump qui, en seulement quatre ans à la Maison Blanche, a eu la chance de pouvoir nommer pas moins de trois nouveaux juges à la Cour suprême (sur un total de neuf), tous soigneusement choisis parmi les opposants au droit à l’avortement. La conséquence, c’est qu’en 2022, précisément, la Cour suprême des États-Unis a renversé cinquante ans de jurisprudence en reniant le droit fédéral à l’avortement et en ouvrant ainsi la voie, dans les États les plus conservateurs, à la promulgation de nouvelles lois interdisant et criminalisant l’avortement.
Mais rendre difficile l’accès à la contraception et à l’avortement ne fait pas augmenter le taux de natalité. Au contraire, il fait augmenter la mortalité chez les femmes, car l’avortement lui-même n’a jamais été et ne pourra jamais être interdit. Seul l’avortement légal peut l’être et, si nous nous engageons dans cette voie, nous rouvrons la porte aux faiseuses d’anges, aux aiguilles à tricoter et aux nombreuses conséquences tragiques des avortements clandestins.
En clair, il n’y a pas plus de naissances si les gens n’ont pas accès aux contraceptifs ou s’ils ne peuvent pas mettre fin à une grossesse non désirée. Peut-être que plus d’enfants naîtront à court terme, mais certainement beaucoup moins à l’avenir, car le fait de devoir supporter une grossesse non désirée conduit souvent à renoncer aux grossesses ultérieures (comme l’expliquent également quelques lignes autobiographiques lumineuses de la grande écrivaine américaine Ursula K. Le Guin).
La deuxième erreur à ne pas commettre dans l’élaboration des politiques natalistes est de tomber dans la rhétorique selon laquelle nous devons «aider les mères». Comme si elles seules avaient des enfants.
Ne les aider que financièrement, bien sûr: avec une prime, une subvention, un chèque. Non: il faut plus de structures. Non: il faut plus de droits. Non: il faut plus d’égalité entre les sexes.
«Aider les mères» en leur distribuant des sous est aussi éloigné que possible d’une bonne politique de natalité. Il faut plutôt une politique qui reconnaisse que les enfants se font à deux, du moins dans la plupart des cas, qui encourage la parentalité partagée et agisse concrètement pour combler le triste fossé entre la motherhood penalty et le fatherhood bonus, ce cas étudié par les chercheurs selon lequel les femmes qui deviennent mères sont pénalisées sur le marché du travail (car elles deviennent distraites et peu fiables) tandis que les hommes qui deviennent pères sont avantagés (car le fait de devoir subvenir aux besoins de leur progéniture les rend plus sérieux et responsables).
Toute mesure de la natalité qui ne concerne que les femmes, les récompensant pour être restées à la maison et s’occuper des enfants, sans donner la priorité à la réalisation progressive d’un équilibre égalitaire dans la responsabilité des soins aux enfants, est hors sujet.
Ce n'est pas un hasard si, dans le sud de l’Italie — où il existe encore souvent un tissu culturel traditionnel, avec des rôles de genre codifiés et des familles d’origine très présentes dans la vie des nouvelles générations —, le très faible taux d’emploi féminin ne produit nullement un taux de fécondité plus élevé. En bref, les femmes du sud de l’Italie qui restent à la maison ont en moyenne moins d’enfants que les femmes du nord qui travaillent. Un signe clair que l’incitation au modèle de «l’ange du foyer» ne fonctionne pas.
Le risque de la rhétorique conservatrice au sujet des naissances — faire des enfants «pour la patrie», «sinon nous serons envahis par les immigrés», «car la famille traditionnelle est sacrée» — n’est pas seulement que ces messages populistes et propagandistes exaltent un idéal de société et de famille désormais dépassé, après des décennies de lutte pour l’égalité des sexes et au travail, contre les stéréotypes de genre.
L’autre risque, paradoxal mais plus que concret, est que ces politiques ne fonctionnent tout simplement pas. Et qu’on perde un temps précieux. Comme l’explique le démographe italien Alessandro Rosina dans son TEDx, si vous laissez le taux de fécondité d’un pays donné «durablement à des niveaux très bas, vous entrez dans un piège qui force ensuite la courbe démographique à devenir de plus en plus négative». En d’autres termes, si vous vous trompez dans les politiques aujourd’hui, il y aura moins d’enfants demain, ce qui rendra encore plus difficile pour eux, après-demain, une fois devenus adultes, d’inverser la tendance et de recommencer à avoir plus d’enfants.
Au temps pour les ministères de la Natalité.
Crédit photos:
- "Goodnight babies" de Dave Hergolz
- Marine Le Pen de European Parliament
- Donald Trump deGage Skidmore
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