Ce septième volet de l'enquête en collaboration entre le quotidien italien Domani et The Why Wait Agenda sur le choix d’avoir des enfants a été publié en italien dans Domani en Septembre 2023.
Chaque personne devrait se sentir libre d’avoir des enfants quand (et si) elle le désire, sans pression ni jugement. Chaque femme dispose d’un temps limité pour avoir des enfants, au-delà duquel il est impossible de concevoir. Ces deux phrases sont vraies, mais elles forment un court-circuit, car la biologie limite le libre choix.
En effet, tomber enceinte repose avant tout de deux éléments, les spermatozoïdes et les ovules : l’homme continue de produire des spermatozoïdes tout au long de sa vie ; la femme, elle, dispose de réserve d’ovules bien définie, qui se dégrade et diminue au fil des années, jusqu’à s’épuiser à la ménopause. À ce moment-là, la seule possibilité est d’utiliser un ovule jeune – provenant d’une donneuse ou, ce qui est très rare, d’un ovule congelé des années auparavant.
Le meilleur âge d'un point de vue biologique La fécondité féminine est à son maximum entre vingt et trente ans ; pourtant, l’âge moyen du premier enfant augmente dans le monde entier, ce qui pose problème dans les pays avancés. L’Italie est le pays d’Europe où les mères sont les plus âgées : en moyenne, elles ont leur premier enfant à l’âge de 31,6 ans, alors que dans les années 1950 il n’atteignait pas 26 ans, et seulement 28 ans en 1995. C’est en partie pour cette raison que le taux de fécondité est aujourd'hui tombé à 1,24 enfant par femme. « On sent que quelque chose ne va pas, quelque chose sonne faux, on sent qu’il est peut-être paradoxal de se rendre stérile pendant toutes les années où on est le plus fertile et d’essayer désespérément d’être fertile quand on ne l’est presque plus, explique Giò, l’une des quatre héroïnes de la pièce de théâtre CallForWomen, écrite par la scénariste Ippolita di Majo et donnée le 8 mars dernier sous la direction de Paola Rota au Teatro Mercadante de Naples (où Giò était interprétée par une extraordinaire Caterina Guzzanti) ainsi que dans quatre autres théâtres italiens à l’occasion de la Journée de la femme.
« Le besoin d’écrire est né de la colère, face au mensonge qu’on raconte sur le corps des femmes », précise l’autrice, mais aussi face au monde du travail qui les met à l’écart quand elles ont — ou qu’elles veulent — des enfants, face à toutes celles qui sont obligées de ranger leurs projets de maternité dans un tiroir. Quand ce tiroir se rouvre, il est parfois trop tard.
Le spectacle est une bombe vulgarisatrice qui mériterait d’exploser dans tous les théâtres et festivals, à commencer par les festivals féministes : il met en lumière la difficulté à combiner maternité et carrière, et montre la vérité sur le fonctionnement du corps féminin. Non : à trente-cinq ans on n’est pas « encore jeune » comme beaucoup voudraient nous le faire croire. Pas d’un point de vue reproductif.
Le spectre de l'infertilité
Les raisons de repousser l’âge de la procréation — le thème qui est à l’origine du Why Wait Agenda — peuvent être d’ordre professionnel ou économique, mais il y en a d’autres. L’une des plus courantes est l’infertilité. « J’ai essayé d’avoir un enfant dès l’âge de 21 ans, raconte Elena. Fécondation homologue, hétérologue et don d’embryon : j’ai dû faire au total vingt tentatives de procréation médicalement assistée. »
Pour finir, Elena a fait la route de la Toscane à Milan pour trouver des médecins en mesure d’identifier la cause, un problème de coagulation. Après un traitement à l’héparine et une nouvelle tentative de fécondation assistée infructueuse, elle est tombée enceinte naturellement à l’âge de 41 ans : « Si on s’était rendu compte de mon problème plus tôt, je n’aurais pas perdu vingt ans », dit-elle sans colère.
Car son histoire se termine bien. Après avoir mis fin à sa relation avec le père de cette première fille tant désirée, Elena rencontre un nouvel amour de dix-sept ans son cadet. Il n’était pas question de retenter la PMA : « Je voulais un enfant avec lui, mais je n’avais pas envie de recommencer tout le processus. » Mais après quatre ans de relation, Elena retombe étonnamment enceinte : « D’après les médecins, l’âge de mon compagnon a aidé. ». Aujourd’hui, à 52 ans, elle est mère d’une fille de onze ans et d’un garçon de trois ans : « Je suis consciente d’avoir vécu un miracle, mais je ne dois pas être prise pour exemple ! Parfois, on me dit “ Ah, j’ai seulement 45 ans, j’ai encore de l’espoir ”. Je ne veux priver personne d’espoir, mais mon conseil est de se bouger, de chercher le bon médecin. »
Car après 42-43 ans, les chances de conception sont minimes et le risque de fausse couche est « extrêmement élevé, en raison des anomalies chromosomiques embryonnaires, qui sont directement proportionnelles à l’âge maternel », confirme la gynécologue Daniela Galliano, responsable du centre de PMA Ivi à Rome.
La procréation assistée et le secret de la fécondation in vitro hétérologue
Il n’est pas rare que des grossesses à plus de 40 ans soient obtenues par fécondation hétérologue. C’est le cas de Nina qui, après avoir tenté en vain de faire un enfant dès 30 ans, a adopté une petite fille à 40. Sept ans plus tard, elle a eu un deuxième enfant grâce à l’ovule d’une donneuse espagnole : « Comme j’avais 47 ans, on me donnait 10 à 15 % de chances de réussite ; mais nous avons réussi du premier coup ! »
Nina n’est pas son vrai nom, car son mari et elle n’ont dit à personne qu’ils avaient bénéficié d’un don d’ovules. Ils vivent dans une petite ville du nord de l'Italie et craignent le jugement des autres : « Il y a tellement d’ignorance », soupire Nina, qui a déjà dû faire face à des commentaires empreints de « désinformation et d’idées préconçues au moment de l’adoption, “ eh, mais ce n’est pas ton enfant ”, m’a-t-on dit ». Au contraire, pour elle ça ne change rien : « Dans tous les cas, ce sont mes deux enfants ». Même les grands-parents ne connaissent pas la vérité. Quant à l’enfant, « on le lui dira quand il sera adulte. Peut-être ».
Les gens cachent souvent le fait qu’ils ont recours à la PMA « par peur de ceux qui pensent que c’est à la nature de décider quand, comment et s’il faut avoir des enfants, explique Daniela Galliano. Mais moins on en parle, plus on se sent seul. » Quand l’amour vient tard Dans toute l’Europe, le nombre de mères de plus de 40 ans a plus que doublé au cours des 20 dernières années : les nouveau-nés de mères “ senior ” représentaient 2,4 % du total en 2001 ; en 2019, ce chiffre était de 5,4 %. En Italie, la proportion atteint 8,4 % ; sur les réseaux sociaux, on trouve désormais de nombreux groupes dédiés aux « mères de plus de 40 ans ». Parfois, c’est parce qu’on a trouvé le bon partenaire sur le tard. C’est ce qui est arrivé à Sara : son partenaire précédent « était très puéril et n’avait aucun désir d’enfant ». À 38 ans, elle a rencontré son mari actuel. « Nous voulions un bébé tout de suite », mais les examens ont révélé un diabète qu’il fallait prendre en charge avant d’envisager une grossesse. Pour Sara, l’accouchement tardif, juste avant ses 44 ans, n’a pas été une partie de plaisir : « J’ai eu mal au dos, le syndrome du canal carpien et un trouble anxieux. »
Travailleuse indépendante, elle a dû s’arrêter pendant de longues périodes : « J’ai repris le travail, mais je dois encore renoncer à de nombreuses tâches », car la gestion de l’enfant repose presque entièrement sur ses épaules. Il y a aussi « un sentiment de culpabilité, car l’enfant aura des parents âgés et peut-être qu’à vingt-cinq ans il se retrouvera sans personne ». C’est pourquoi le couple a souscrit une assurance, ouvert un compte épargne pour l’enfant et acheté la maison dans laquelle vit la famille, « pour qu’il ait une base sûre. J’essaie d’être en aussi bonne santé que possible, mais j’ai cette peur ».
Née en 1972 et aujourd’hui mère d’une petite fille de sept ans, Isabella a également rencontré son âme sœur sur le tard. Dans son cas, le désir de maternité ne préexistait pas. Tombée enceinte à deux reprises entre 20 et 30 ans, avec deux partenaires différents, a chaque fois elle avait choisi d’interrompre la grossesse : « Un enfant vous lie pour toujours, explique-t-elle, et je savais que je n’aimais pas les hommes avec lesquels j’étais à l’époque.
Puis, à 44 ans, avec une certaine amertume face à l’expérience de la maternité manquée mais sans plus d’attentes à cet égard, elle a entamé une relation avec un homme d’une cinquantaine d’années, lui aussi sans enfant. Dans l’intimité, ils ne prennent pas trop de précautions : « Nous ne nous voyions qu’une fois par semaine et il était “ prudent ”. » Pourtant, six mois plus tard, Isabella se retrouve enceinte. Cette fois, elle n’a pas songé un seul instant à avorter : « Pour moi, c’était un cadeau. Le gynécologue m’a dit : ‘Vous avez les analyses de sang d’une adolescente.’ Mais nous n’avons jamais envisagé de recommencer, notamment parce que seule ma belle-mère, qui a aujourd’hui 80 ans, est là pour nous aider. » Avant tout ça, Isabella avait imaginé de se faire tatouer sur le corps le prénom qu’elle aurait donné à la fille qu'elle n'avait jamais eu. Elle ne l’a pas fait : aujourd’hui, c’est un enfant en chair et en os qui porte ce prénom.
En Italie, le problème de la natalité « n’est pas lié au droit à l’avortement, mais à un système totalement inadapté au soutien de la maternité » : c’est sur ces mots que se termine la pièce d’Ippolita di Majo. Si le système changeait et que la maternité était encouragée, peut-être que de nombreuses personnes cesseraient de repousser le moment de devenir parents. Et la courbe de l’âge moyen des mères, qui augmente depuis des décennies, pourrait s’inverser.
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