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Eleonora Voltolina

Mères à plus de 40 ans, ça semble facile à la télévision, mais dans la réalité?

Il n’y a pas longtemps encore, on disait à Hollywood qu’après quarante ans la carrière des actrices

était finie. D’un coup, elles ne trouvaient plus de rôles, car l’industrie du cinéma ne s’intéressait

qu’aux visages jeunes et aux corps parfaits. Il semblait inconcevable de faire travailler des femmes

d’âge mûr, sinon en leur confiant des rôles secondaires et souvent «asexués».

“Sex Education” S03 episode 07 (Netflix 2022)

Aujourd’hui, fort heureusement, le climat a changé, et de plus en plus de femmes de plus de 40, 50 et parfois même 60 ans jouent dans des films et des séries qui présentent leur vie telle qu’elle est, avec la possibilité de tomber amoureuse, d’avoir des relations sexuelles — voire de faire des enfants.


Prenons deux petits bijoux de séries télévisées disponibles sur Netflix (attention, cet article s’apprête à spoiler la troisième saison des deux séries!): la britannique Sex Education, qui suit des lycéens dans leur découverte des relations amoureuses, de l’intimité et du plaisir, et l’américaine Dead To Me, une dark comedy centrée sur l’amitié entre deux femmes qui se rencontrent dans un groupe d’entraide pour personnes ayant subi un deuil.

“Dead To Me” S03 episode 07 (Netflix 2022)

Les deux séries ont beaucoup en commun: elles sont toutes deux brillamment écrites et regorgent de répliques fulgurantes. Elles parviennent à traiter de sujets difficiles comme la maladie, la mort et l’homophobie avec grâce et humour, de manière rigoureuse mais aussi drôle. Elles font rire, mais également beaucoup réfléchir. Et, dans leur troisième saison, toutes deux mettent en scène une situation peu commune: une femme mûre qui tombe enceinte par accident.


Dans Sex Education, il s’agit d’une sexologue interprétée par Gillian Anderson; dans Dead To Me, de l’agent immobilier Jen (Christina Applegate). Les deux femmes sont bien plus proches de la cinquantaine que de la quarantaine et, à un certain moment, elles se retrouvent chez le médecin pour une tout autre raison, sans soupçonner le moins du monde qu’elles sont enceintes. Elles sont stupéfaites par cette annonce qui, dans Sex Education, arrive pour Jean en même temps que le diagnostic de pré-ménopause. Et miracle suprême, les deux grossesses sont couronnées de succès, avec la naissance de deux petites filles en bonne santé.


La tournure que prennent les événements a de quoi surprendre: comme le souligne Karin Hammarberg, spécialiste des questions de fertilité et Senior Research Fellow à la Monash University de Melbourne, c’est pourtant très rare: «Bien qu’il arrive parfois que des femmes de 45 à 50 ans aient des miracle babies, la probabilité d’une grossesse est très faible dans les cinq à dix ans qui précèdent la ménopause».

“Dead To Me” S03 episode 07 (Netflix 2022)

Il est presque impossible de donner un chiffre exact: «Je ne crois pas que l’on puisse trouver des données précises sur cette question, explique Hammarberg, car nous ne savons pas combien de femmes de cet âge essaient de tomber enceintes sans y parvenir; mais si je voulais quantifier la probabilité qu’une femme de 48 ans tombe enceinte, mon estimation

serait: moins de 1%».


Il s’agit bien entendu de la probabilité qu’une femme d’une cinquantaine d’années tombe enceinte «par surprise», c’est-à-dire de manière tout à fait naturelle: sans avoir suivi de thérapie hormonale, sans avoir pris de médicaments pour faciliter la conception, sans avoir eu des rapports sexuels ciblés les jours de l’ovulation et sans avoir utilisé l’ovule d’une femme plus jeune (la fécondation hétérologue, dans laquelle on utilise les gamètes — ovules ou spermatozoïdes — de donneurs, ne peut en effet jamais avoir lieu naturellement, puisqu’elle doit être réalisée par insémination artificielle ou fécondation in vitro).


Mais dans les deux cas, l’héroïne n’en est pas à sa première grossesse. Dans Sex Education, Jean est la mère du personnage principal de la série, Otis, 17 ans. Dans Dead To Me, Jen, veuve depuis peu, a deux enfants adolescents. On dit que le fait d’avoir déjà eu des enfants «aide», c’est-à-dire que cela augmente la probabilité de tomber enceinte plus tard, car “le corps sait déjà quoi faire”. Est-ce une légende ou y a-t-il une part de vérité? «Cela aide dans le sens où une femme qui a déjà donné naissance à un enfant a prouvé qu’elle était fertile, répond Karin Hammarberg. Ainsi, parmi les femmes de plus de 40 ans qui essaient de tomber enceintes, celles qui ont déjà des enfants ont peu de risques de connaître des problèmes de fertilité». Si l’on suit ce raisonnement, on peut affirmer que les femmes de 40 ans qui sont déjà mères ont «légèrement plus de chances de tomber enceintes» que les autres.


Mais dans l’évolution des deux séries, certains détails entrent en jeu et rendent ces grossesses miraculeuses encore moins probables. Dans Dead To Me, Jen tombe enceinte après une histoire d’une nuit. Les chances que les étoiles soient alignées et que ce seul rapport sexuel ait eu lieu exactement au moment de l’ovulation de Jen sont, statistiquement, très proches de zéro. En revanche, dans Sex Education, Jean vit une relation passionnée et a des rapports sexuels très fréquents et, dans ce cas, ses chances sont statistiquement plus élevées. À ceci près qu’on découvre un peu plus tard que son partenaire a subi une vasectomie, c’est-à-dire une intervention chirurgicale qui, en coupant les canaux qui conduisent les spermatozoïdes des testicules au pénis, rend l’homme stérile — même si, comme avec presque toutes les méthodes contraceptives, il y a toujours un petit pourcentage d’inefficacité.

“Sex Education” S03 episode 07 (Netflix 2022)

Autre élément important: ces miracle babies ont tous deux pour père un homme d’âge moyen – l’amant de Jean dans Sex Education (le vasectomisé!) est proche de la cinquantaine, et celui de Jen dans Dead To Me de la quarantaine. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, prévient Karin Hammarberg, «l’âge des hommes influe également sur la probabilité d’une grossesse», car «la qualité du sperme et la fertilité masculine diminuent à partir de quarante-cinq ans», selon une étude publiée en 2003 par l’American Society for Reproductive Medicine. Ces deux grossesses miracles de fiction auraient donc été «légèrement plus probables», confirme la chercheuse australienne, si les auteurs de la série avaient choisi de rajeunir les deux pères: avec un partenaire âgé de 20 ou 30 ans, Jen et Jean auraient eu un peu plus de chances dans la vie réelle.


Mais en vérité, le poids de cette «vraie vie» n’est pas totalement absent des deux séries: dans Sex Education, le personnage de Jean est à plusieurs reprises l’objet de reproches et d’insultes déguisées parce qu’elle est enceinte «sur le tard»; de même, Jen et elle vivent toutes deux des complications pendant leur grossesse. Dans une scène de Dead To Me, Jen remarque qu’elle saigne; sa meilleure amie la conduit en urgence à l’hôpital, où on lui diagnostique un placenta prævia, une maladie qui peut avoir de graves conséquences pour la santé de la femme et du fœtus. Les péripéties de Sex Education sont encore plus dramatiques: Jen accouche par surprise huit semaines plus tôt que prévu, donnant naissance à une petite fille prématurée, et risque de mourir à cause d’une hémorragie post-partum.


«Nul doute que le risque de complications pendant la grossesse augmente avec l’âge, note Hammarberg, entre autres parce que les problèmes de santé tels que l’obésité, l’hypertension artérielle ou le diabète sont plus fréquents avec l’âge et contribuent à un taux moindre de grossesse aboutie».


En résumé, les histoires de Jean dans Sex Education et de Jen dans Dead To Me sont efficaces et frappent le spectateur, mais de telles situations se produisent très rarement dans la réalité. En effet, selon de nombreuses activistes de la fertility awareness, qui cherchent à diffuser ces informations et à sensibiliser aux périodes de fécondité, en particulier dans la jeune génération, mettre en avant de tels exemples est une arme à double tranchant. « Je pense que les reportages des médias sur des célébrités qui ont eu des enfants à 40 ans passés — sans qu’on sache s’ils ont été conçus ou non avec des ovules de donneuses plus jeunes — ou, en l’occurrence, les séries mettant en scène des miracle babies, peuvent influencer la perception qu’ont les gens de ce qui est biologiquement possible», observe Karin Hammarberg, également vice-présidente de l’Ifei, l'International Fertility Education Initiative, et membre du comité scientifique de l’European Fertility Society: «On entend toujours parler des histoires réussies, mais jamais de celles de toutes les femmes de la quarantaine qui essaient de tomber enceintes sans y parvenir»..


Mais, sur ce dernier point au moins, Dead To Me se distingue clairement. L’autre héroïne, outre Jen, est Judy, une femme qui a commencé à vouloir un enfant à un âge «normal», mais qui n’a jamais réussi à mener une grossesse à terme. Le personnage de Judy incarne toutes les femmes, quel que soit leur âge, qui traversent l’épreuve de l’infertilité, doivent faire face à de multiples fausses couches et se voient infliger un verdict d’infertilité plus ou moins inavouable.


Quoi qu’il en soit, enfants miracles ou non, Sex Education et Dead To Me sont deux séries à voir absolument.



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