Placer au centre du débat public la question de la natalité dans une perspective laïque. C’est ce qu’a fait la journaliste et entrepreneuse sociale Eleonora Voltolina dans son talk TEDx “The Fertility Gap: Why don't we have the kids we'd like to have?” (“Il divario della fertilità: perché non facciamo i figli che desidereremmo fare?”), en juin 2022.
«Peut-on être heureux sans avoir d’enfants? commence Voltolina sur scène. La réponse est à la fois oui et non. Les deux réponses sont bonnes: oui, si c’est notre choix de ne pas avoir d’enfants. Non, si ce n’est pas le nôtre».
Car l’éléphant dans la pièce, la grande vérité que nous devons commencer à accepter, c’est qu’il y a beaucoup de gens qui aimeraient avoir des enfants — un, deux, peut-être même plus que deux — mais qui n’en ont pas, ou en ont moins que souhaité.
«Les études statistiques indiquent qu’en moyenne, les Italiens veulent avoir deux enfants, rappelle Voltolina. Mais combien d’enfants ont-ils réellement? À cause de cette bizarrerie qui fait qu’en statistiques les enfants sont fractionnés, la réponse à cette question, en Italie, est : un enfant vingt-cinq. C’est ce qu’on appelle «hiver démographique» ou «dénatalité».
Voltolina souligne également que le problème n’est pas seulement italien, mais qu’il concerne également la Suisse et tous les pays européens à l’exception de la France, et en général pratiquement tous les pays occidentaux. C’est la grande question sous-jacente du «fertility gap», l’écart entre le nombre d’enfants désirés et celui que les femmes mettent effectivement au monde.
Au cours de son TEDx, en italien et sous-titrée en anglais, Eleonora Voltolina se concentre sur les causes de ce fossé, en se focalisant toujours sur les enfants désirés et non mis au monde pour des causes «exogènes»: économiques, professionnelles, culturelles. C’est pourquoi elle insiste toujours sur le fait que la maternité et la paternité sont un choix, qu’elle ne doivent pas être imposées à ceux qui ne veulent tout simplement pas d’enfants — c’est-à-dire ceux qui, lorsqu’on leur demande : «Combien d’enfants souhaitez-vous?» répondent: «Aucun».
Les personnes qui n’ont pas d’enfants par choix ne doivent pas être jugées responsables de cet hiver démographique: «Faut-il pousser les gens à avoir plus d’enfants? Les forcer? Faire culpabiliser
ceux qui n’en ont pas? Soyons sérieux», déclare Voltolina, reprenant plus d’une fois au cours de son intervention l’un des slogans féministes les plus célèbres sur la possibilité de décider quoi faire de son corps : «My body, my choice. Si les gens ne veulent pas avoir d’enfants, ils ont le droit absolu de ne pas en avoir. Il faut les laisser tranquilles. Des enfants pour mon pays, pas question».
Du reste, vouloir forcer les gens à donner naissance à des enfants qu’ils ne désirent pas vraiment n’est pas seulement une faute sur le plan éthique, mais ce n’est même pas nécessaire sur le plan
pratique. Le meilleur antidote à cet hiver démographique, à la dénatalité qui déclenche l’alarme du «berceau vide» et met en péril l’équilibre des systèmes sociaux, la solution la plus évidente et la plus indolore est tout simplement de «laisser ceux qui veulent avoir des enfants… avoir des enfants!».
Au cours des seize minutes qu’elle a passées sur scène, Voltolina a multiplié les données et les exemples sur les pressions que les jeunes — surtout les jeunes femmes — subissent de la part du
monde extérieur lorsqu’ils doivent décider d’avoir des enfants ou non, soulignant notamment qu’en Italie, «l’âge moyen des femmes à la naissance de leur premier enfant a augmenté au cours des
vingt-cinq dernières années de près de trois ans et demi», passant de 28 ans en 1995 à 31,4 ans en 2020 — «l’âge le plus élevé de tous les pays européens» — et que «l’âge moyen des hommes à la
naissance de leur premier enfant a également beaucoup augmenté au cours des dernières décennies»..
Pourtant, remettre à plus tard comporte de véritables pièges: «La vérité, c’est que commencer à vouloir un enfant tardivement peut entraîner — pas toujours, mais parfois — de nombreuses
difficultés, affirme clairement Voltolina. La probabilité de devoir recourir aux techniques de fécondation assistée est plus grande, mais le pourcentage de résultats positifs — le fameux «bébé
dans les bras» — n’est que de 30 % environ, et ce pourcentage diminue une fois que la femme a dépassé la quarantaine. Il y a plus de risques de fausses couches ou de concevoir des enfants ayant
des problèmes de santé». Sans parler du fait que «la vie intime des couples est parfois mise à rude épreuve par les rapports sexuels ‘sur command’ qu’exigent les tentatives de conception».
Ainsi, à moins qu’attendre ne soit un vrai choix, conscient et autonome, cela comporte le grand risque qu’en fin de compte cette maternité reportée, différée, ignorée ne se produise jamais: générant douleur et regret chez les parents manqués.
Le talk de Voltolina a semé des graines qui feront bientôt pousser The Why Wait Agenda: «Il est donc temps de nous dire : pourquoi attendre. Il est temps de mener une grande bataille sociale pour
le droit d’avoir des enfants quand nous le voulons. Une révolution culturelle pour réaffirmer que les enfants se font à deux, du moins dans la plupart des cas, et que nous avons donc besoin d’une
parentalité véritablement partagée».
Une bataille qui, «même si elle n’en a pas l’air, est aussi politique»: Voltolina s’écarte nettement des positions les plus répandues parmi ceux qui s’occupent habituellement des questions de natalité, lie de manière décisive le fait de pouvoir avoir des enfants à son « inverse, à savoir le fait de pouvoir ne pas pouvoir en avoir». Selon la journaliste, les droits reproductifs et sexuels — planning familiale, accès à la contraception, droit à l’avortement — peuvent être intégrés et élargis, une nouvelle déclinaison qui aiderait les générations à venir, souvent bloquées — littéralement — au seuil de la décision de fonder une famille, à avoir le nombre d’enfants qu’elles souhaitent, sans devoir attendre plus longtemps. «Why wait?», justement.
Cette bataille a donc débuté sur la scène du Théâtre Tirinnanzi, pendant le TEDxLegnano 2022, et elle se poursuit maintenant ici, sur ce site, à travers le podcast, et grâce à tous ceux qui veulent faire parler de la question du fertility gap et attirer l’attention sur elle.
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