Deux femmes se rencontrent. Elles viennent d’avoir quarante ans. L’une a derrière elle une grande histoire d’amour, l’autre est célibataire. Elles se demandent: avoir les enfants? Bientôt il sera trop tard: en voulons-nous? Et, si oui, comment faire quand on n’a pas de partenaire? Jusqu’à ce que l’une dise à l’autre: «C’est décidé: si je ne rencontre pas l’homme idéal d’ici un an, je ferai un bébé toute seule».
Un dialogue pas si insolite que cela et une hypothèse de plus en plus souvent envisagée. En l’occurrence, l’une de ces deux femmes était Giorgia Surina. Présentatrice de radio et de télévision, actrice italienne née en 1975, Surina a longuement ressassé cette conversation et elle a eu cette idée folle : et si, au lieu de dire «je ferai un bébé toute seule», son amie avait lancé «on devrait faire chacune un bébé par fécondation in vitro puis les élever ensemble, au sein d’une famille élargie»? La graine de ce projet de maternité insolite a lentement poussé en elle, jusqu’à trouver sa place dans un livre. In due sarà più facile restare svegli (“À deux ce sera plus facile de se lever la nuit”), son premier roman paru en mai 2022 chez Giunti, raconte l’histoire de deux amies — Gaia et Bea — qui tentent de concrétiser ce projet.
«Nous, les femmes, avons pris conscience que nous ne pouvons pas attendre le Prince charmant, qui d’ailleurs n’existe pas. La décision est entre nos mains», explique Giorgia Surina au Why Wait Agenda. Car lorsqu’on atteint la quarantaine et qu’on est seule, ou qu’on a un partenaire qui tremble à la perspective d’avoir des enfants, remettre sans cesse à plus tard la réalisation de son désir de maternité peut de facto signifier faire une croix dessus. «Ce n’est peut-être pas pour tout le monde, mais pour certaines c’est vraiment le rêve d’une vie». Ainsi, plutôt que de se réfugier dans le «non-choix», de renoncer en silence à son rêve et de se résigner à «ne jamais devenir mère», on peut choisir d’«oser, avec courage, le porter sur ses épaules». Et, en effet, opter pour la maternité en célibataire.
L’augmentation constante du nombre de femmes célibataires, comme de celui de femmes sans
enfant, annonce une nouvelle réalité qui devra tôt ou tard apparaître dans le récit de notre époque: «Une nappe souterraine dont personne ne parle et qui est encore considérée comme tabou, mais qui commence à remonter spectaculairement à la surface. Une chose qui est en train de bouillonner dans la société». La question du libre choix est toujours déterminante — et de nombreuses femmes choisissent librement de ne pas avoir d’enfants. Il y en a aussi beaucoup qui renoncent à la maternité «faute de partenaire» et qui, souvent, en souffrent. De plus, comme le rappelle Surina, «l’une des plus grandes craintes — pas seulement pour moi mais pour beaucoup de femmes — est d’avoir un enfant avec la mauvaise personne. Entre en avoir un avec quelqu’un dont je ne suis pas sûre et en avoir un seule, je choisirais probablement d’en avoir un seule».
Il n’existe pas de chiffres précis sur le nombre de femmes célibataires qui choisissent de faire un bébé seules. En Italie, par exemple, l’ISTAT, l’institut national de la statistique, a dénombré en 2021 615.000 «foyers monoparentaux» qui comptent au moins un enfant mineur et un parent de moins de 45 ans. Sur 615.000, 523.000 (soit 85 %) sont des foyers monoparentaux dont le parent en question est une femme. Ces foyers peuvent être monoparentaux pour toutes sortes de raisons, veuvage, divorce, séparation, ou lorsqu’une femme a eu d’emblée son enfant sans partenaire; mais dans ce groupe, l’écrasante majorité est constituée de femmes qui sont séparées ou ont divorcé, et malheureusement l’ISTAT ne fournit pas de données spécifiques sur celles qui sont effectivement des mères célibataires, et encore sur celles qui sont devenues mères sans partenaire (par exemple, en comptant celles qui ont reconnu seules leur enfant à la naissance).
En Italie — comme dans un tiers des pays européens, dont la Suisse, l’Autriche et la Norvège — la PMA, la «procréation médicalement assistée», est même interdite aux femmes célibataires. Par conséquent, à moins de recourir à un stratagème comme celui des Copains d’abord, le célèbre film de Lawrence Kasdan, et de trouver un ami prêt à avoir un rapport sexuel à des fins de pure procréation, ou de se risquer à acheter en ligne des kits d’insémination artificielle à utiliser soi-même, avec une fiole contenant le sperme d’un donneur anonyme, cette voie est interdite aux femmes sans partenaire. La législation italienne (la tristement célèbre Loi 40 de 2004, voulue par le gouvernement de droite alors dirigé par Silvio Berlusconi et contestée en 2005 par un référendum qui n’a pas obtenu le quorum) réserve le recours aux procédures de fécondation in vitro aux femmes hétérosexuelles mariées ou en concubinage. «Grâce au travail de l’Association Luca Coscioni et de l’avocate Filomena Gallo, cette loi a peu à peu cessé d’être appliquée», rappelle Surina, mais elle n’a pas été abrogée; et le non-accès à la fécondation in vitro pour les célibataires ou les couples de même sexe est toujours en vigueur.
Pour autant, il y a bel et bien des femmes italiennes qui parviennent à «faire un bébé toutes seules» en allant à l’étranger: plusieurs pays sont des «terres promises, l’Espagne, la Grèce, l’Angleterre, le Danemark, la Bulgarie», explique Giorgia Surina qui, pour écrire son livre, a fait des recherches et fréquenté des forums en ligne, des groupes Facebook comme «Single mums by choice», et recueilli les témoignages de femmes devenues mères grâce à la PMA. Mais l’actrice-autrice a ensuite choisi la provocation en situant l’intrigue de son livre à Milan. Une colossale «licence poétique» qui permet à ses héroïnes d’avoir recours à la procréation assistée comme femmes célibataires en Italie. «Je rêve qu’un jour ce soit vraiment possible, affirme-t-elle, car ce n’est pas le caprice d’une femme qui se réveille un matin et dit: je veux faire un bébé toute seule; c’est une question tellement délicate que la loi devrait elle aussi avoir la délicatesse de comprendre et d’accueillir ce désir, souligne-t-elle. De même qu’une femme qui ne veut pas d’enfant a le droit de ne pas en avoir et de ne pas subir de pression de la part de la société, une femme qui désire viscéralement devenir mère ne devrait pas recevoir en réponse de la part des services de santé et de la loi italienne un non catégorique», car cela prive les femmes de la liberté de «disposer de leur vie à leur gré: une forme de violence très grave».
Mais, paradoxalement, le roman n’aborde qu’à la marge le grand thème de l’infertilité: les deux héroïnes ne sont nullement infertiles. Elles ont tout ce qu’il faut pour avoir un enfant, sauf la contribution masculine nécessaire. La monoparentalité prive bien sûr l’enfant à naître de figure paternelle; mais dans la réalité du quotidien, de nombreux enfants naissent et grandissent dans des familles monoparentales sans pour autant devenir des «personnes incomplètes». Surina cite l’exemple de son père, d’origine croate, qui a grandi sans père à la fin de la guerre, mais a été «comblé d’amour par sa mère, sa grand-mère et sa sœur», si bien qu’il n’a jamais souffert, à l’âge adulte, des effets de ce manque.
«Il y a aujourd’hui tellement de familles déséquilibrées, de couples fragiles qui ne peuvent pas faire face à l’arrivée d’un bébé, de familles séparées, élargies, dans lesquelles les enfants se partagent entre la nouvelle famille de la mère et la nouvelle famille du père. C’est très bien, mais dès lors, pourquoi la volonté d’une femme de construire son propre projet de maternité» — ‘déséquilibré’ dès le départ, certes, mais pas nécessairement pire — «serait-elle considérée comme une faute?».
D’une certaine façon, Giorgia Surina a écrit In due sarà più facile restera svegli «par solidarité féminine», bien qu’elle n’ait pas d’enfant et qu’elle n’ait pas eu recours à la PMA : «Je me suis reconnue dans une situation qui ne me concerne pas directement, du moins pas pour le moment. Mais si je vivais dans une société qui ne punit pas l’homicide, devrais-je attendre que quelqu’un tue une personne qui m’est chère avant de me battre pour qu’un tel crime soit puni? Je veux défendre le droit de chaque femme à devenir mère si elle en éprouve le désir. Je ne me suis jamais considérée comme féministe, mais de nombreuses petites explosions en moi me poussent dans cette voie. Malheureusement, on le voit tous les jours, certains droits ne s’obtiennent pas automatiquement. Et donc je me bats: car si nous ne faisons pas les premiers pas, aucun geste ne viendra d’en haut». Le roman est l’occasion d’évoquer le thème de la maternité monoparentale et de souligner qu’un enfant né de FIV est «la chose la plus désirée et la plus recherchée que l’on puisse imaginer: une explosion d’amour si forte qu’elle ne peut être considérée comme une faute». Et qui ne devrait jamais être interdite par la loi.
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